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mort, pour lui enlever le pouvoir, est aux yeux de tous un horrible assassinat ; déclarer son adversaire indigne de posséder ce même pouvoir, et le lui ôter, en lui laissant la liberté et la vie, peut paraître le résultat honnête de la lutte.

Or, ce jugement si facile à prononcer n’en est pas moins le comble du malheur pour le commun de ceux auxquels il s’applique. Les grands criminels braveront sans doute ses vaines rigueurs ; les hommes ordinaires verront en lui un arrêt qui détruit leur position, entache leur honneur, et qui les condamne à une honteuse oisiveté pire que la mort.

Le jugement politique, aux États-Unis, exerce donc sur la marche de la société une influence d’autant plus grande qu’elle semble moins redoutable. Il n’agit pas directement sur les gouvernés, mais il rend la majorité entièrement maîtresse de ceux qui gouvernent ; il ne donne point à la législature un immense pouvoir qu’elle ne pourrait exercer que dans un jour de crise ; il lui laisse prendre une puissance modérée et régulière, dont elle peut user tous les jours. Si la force est moins grande, d’un autre côté l’emploi en est plus commode et l’abus plus facile.

En empêchant les tribunaux politiques de prononcer des peines judiciaires, les Américains me semblent donc avoir prévenu les conséquences les plus terribles de la tyrannie législative, plutôt que la tyrannie elle-même. Et je ne sais si, à tout prendre, le jugement politique, tel qu’on l’entend aux États-Unis, n’est point l’arme la plus