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où l’on est souvent d’autant plus fort qu’on n’exerce légalement aucun pouvoir.

Si le législateur américain avait voulu donner à la société elle-même le droit de prévenir les grands crimes, à la manière du juge, par la crainte du châtiment, il aurait mis à la disposition des tribunaux politiques toutes les ressources du Code pénal ; mais il ne leur a fourni qu’une arme incomplète, et qui ne saurait atteindre les plus dangereux d’entre les criminels. Car peu importe un jugement d’interdiction politique à celui qui veut renverser les lois elles-mêmes.

Le but principal du jugement politique, aux États-Unis, est donc de retirer le pouvoir à celui qui en fait un mauvais usage, et d’empêcher que ce même citoyen n’en soit revêtu à l’avenir. C’est, comme on le voit, un acte administratif auquel on a donné la solennité d’un arrêt.

En cette matière, les Américains ont donc créé quelque chose de mixte. Ils ont donné à la destitution administrative toutes les garanties du jugement politique, et ils ont ôté au jugement politique ses plus grandes rigueurs.

Ce point fixé, tout s’enchaîne ; on découvre alors pourquoi les constitutions américaines soumettent tous les fonctionnaires civils à la juridiction du sénat, et en exemptent les militaires, dont les crimes sont cependant plus à redouter. Dans l’ordre civil, les Américains n’ont pour ainsi dire pas de fonctionnaires révocables : les uns sont inamovibles, les autres tiennent leurs droits