Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 1.djvu/206

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’État n’ayant point de fonctionnaires administratifs à lui, placés à poste fixe sur les différents points du territoire, et auxquels il puisse imprimer une impulsion commune, il en résulte qu’il tente rarement d’établir des règles générales de police. Or, le besoin de ces règles se fait vivement sentir. L’Européen en remarque souvent l’absence. Cette apparence de désordre qui règne à la surface, lui persuade, au premier abord, qu’il y a anarchie complète dans la société ; ce n’est qu’en examinant le fond des choses qu’il se détrompe.

Certaines entreprises intéressent l’État entier, et ne peuvent cependant s’exécuter, parce qu’il n’y a point d’administration nationale qui les dirige. Abandonnées aux soins des communes et des comtés, livrées à des agents élus et temporaires, elles n’amènent aucun résultat, ou ne produisent rien de durable.

Les partisans de la centralisation en Europe soutiennent que le pouvoir gouvernemental administre mieux les localités qu’elles ne pourraient s’administrer elles-mêmes : cela peut être vrai, quand le pouvoir central est éclairé et les localités sans lumières, quand il est ac-

    nistration locale. Je suppose, par exemple, qu’un agent du gouvernement, placé à poste fixe dans chaque comté, pût déférer au pouvoir judiciaire les délits qui se commettent dans les communes et dans le comté ; l’ordre n’en serait-il pas plus uniformément suivi sans que l’indépendance des localités fût compromise ? Or, rien de semblable n’existe en Amérique. Au-dessus des cours des contés, il n’y a rien ; et ces cours ne sont, en quelque sorte, saisies que par hasard de la connaissance des délits administratifs qu’elles doivent réprimer.