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tendre par notre indépendance. Il y a en effet une sorte de liberté corrompue, dont l’usage est commun aux animaux comme à l’homme, et qui consiste à faire tout ce qui plaît. Cette liberté est l’ennemie de toute autorité ; elle souffre impatiemment toutes règles ; avec elle, nous devenons inférieurs à nous-mêmes ; elle est l’ennemie de la vérité et de la paix ; et Dieu a cru devoir s’élever contre elle ! Mais il est une liberté civile et morale qui trouve sa force dans l’union, et que la mission du pouvoir lui-même est de protéger : c’est la liberté de faire sans crainte tout ce qui est juste et bon. Cette sainte liberté, nous devons la défendre dans tous les hasards, et exposer, s’il le faut, pour elle notre vie[1]. »

J’en ai déjà dit assez pour mettre en son vrai jour le caractère de la civilisation anglo-américaine. Elle est le produit (et ce point de départ doit sans cesse être présent à la pensée) de deux éléments parfaitement distincts, qui ailleurs se sont fait souvent la guerre, mais qu’on est parvenu, en Amérique, à incorporer en quelque sorte l’un dans l’autre, et à combiner merveilleusement. Je veux parler de l’esprit de religion et de l’esprit de liberté.

Les fondateurs de la Nouvelle-Angleterre étaient tout à la fois d’ardents sectaires et des novateurs exaltés.

  1. Mathiew’s magnalia Christi americana, vol. II, p. 13.

    Ce discours fut tenu par Winthrop ; on l’accusait d’avoir commis, comme magistrat, des actes arbitraires ; après avoir prononcé le discours dont je viens de rappeler un fragment, il fut acquitté avec applaudissements, et depuis lors il fut toujours réélu gouverneur de l’État. Voyez Marsall, vol. I, p. 166.