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pères, nous aimons mieux périr que de vivre sans vous, veuves ou orphelines. » Tous ces hommes, chefs et soldats, sont émus ; ils s’apaisent tout à coup et gardent le silence. Les chefs s’avancent pour conclure un traité, et la paix n’est pas seulement résolue, mais aussi la fusion des deux états en un seul. Les deux rois se partagent l’empire, dont le siège est établi à Rome. Ainsi, la puissance de Rome est doublée. Mais, pour qu’il soit accordé quelque faveur aux Sabins, les Romains prennent, de la ville de Cures, le surnom de Quirites. En témoignage de ce combat, le marais dans lequel Curtius faillit d’être englouti avec son cheval fut appelé le lac Curtius. Une paix si heureuse, succédant tout à coup à une guerre si déplorable, rendit les Sabines plus chères à leurs maris, à leurs pères, et surtout à Romulus. Aussi, lorsqu’il partagea le peuple en trente curies, il les désigna par le nom de ces femmes. Leur nombre surpassait sans doute le nombre des curies ; mais la tradition ne nous a point appris si leur âge, leur rang, celui de leurs maris, ou le sort enfin décidèrent de l’application de ces noms. À la même époque, on créa trois centuries de cavaliers, appelées, la première, Ramnenses, de Romulus ; la seconde, Titienses, de Titus Tatius. On ignore l’étymologie de Lucères, nom de la troisième. Depuis ce temps, non seulement la souveraineté fut commune aux deux rois, mais elle fut aussi exercée par l’un et l’autre dans une parfaite harmonie.

XIV. Quelques années après, des parents du roi Tatius ayant maltraité les députés des Laurentins, ce peuple réclama, au nom du droit des gens. Mais le crédit et les sollicitations des agresseurs eurent plus de succès auprès de Tatius ; aussi leur châtiment retomba-t-il sur sa tête. Il était venu à Lavinium pour la célébration d’un sacrifice solennel ; il y fut tué au milieu d’un soulèvement. Romulus ne montra pas, dit-on, dans cette circonstance, toute la douleur convenable, soit qu’il n’eût partagé le trône qu’avec regret, soit que le meurtre de Tatius lui parût juste. Il ne prit pas même les armes ; seulement, comme l’outrage reçu par les députés voulait être expié, Rome et Lavinium renouvelèrent leur traité. Mais cette paix inspira peu de confiance. Un autre orage plus menaçant éclatait presque aux portes de Rome. Le voisinage de cette ville, dont la puissance grandissait chaque jour, inquiétait les Fidénates : sans attendre qu’elle réalise tout ce que semble lui promettre l’avenir, ils commencent à lui faire la guerre. Ils arment leur jeunesse, la mettent en campagne, et dévastent le territoire qui est entre Rome et Fidènes. De là, ils tournent vers la gauche, parce que, sur la droite, le Tibre leur opposait un obstacle, et sèment devant eux la terreur et la désolation. Les habitants des campagnes fuient en tumulte, et leur retraite précipitée dans Rome y porte la première nouvelle de l’invasion. L’imminence du péril n’admettait pas de retard. Romulus alarmé fait sortir son armée, et vient camper à un mille de Fidènes. Là, il laisse une garde peu nombreuse et se remet en marche avec toutes ses forces. Il en met une partie en embuscade dans des lieux couverts de broussailles, et marche ensuite avec la plus grande partie de son infanterie et toute sa cavalerie. Ce mouvement,