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brage s’élever une cité nouvelle : croyant bientôt la sûreté des peuples voisins menacée par le rapide accroissement de la colonie troyenne, ce fut sans répugnance qu’il associa ses armes à celles des Rotules. Pressé de faire face à une ligue si formidable, Énée, pour s’assurer contre elle du dévouement des Aborigènes, voulut réunir sous le même nom deux peuples déjà soumis aux mêmes lois ; il les confondit sous la dénomination commune de Latins. Dès ce moment les Aborigènes ne le cédèrent aux Troyens ni en fidélité ni en zèle pour Énée : fort de ces dispositions, Énée, avec ces deux peuples dont l’union se resserrait chaque jour, osa braver la puissance des Étrusques, qui remplissaient alors du bruit de leur nom la terre et la mer dans toute la longueur de l’Italie, depuis les Alpes jusqu’au détroit de Sicile ; et bien qu’il eût pu, à l’abri de ses murailles, tenir tête à l’ennemi, il fit sortir ses troupes et présenta le combat. La victoire resta aux Latins ; mais c’est là que se terminèrent les travaux mortels d’Énée : de quelque nom qu’il soit permis de l’appeler, il est enseveli sur les bords du Numicius : on le nomme Jupiter-Indigète.

III. Ascagne, fils d’Énée, n’était pas encore en âge de régner : toutefois il atteignit la puberté sans que son pouvoir eût souffert d’atteinte. La tutelle d’une femme (tant Lavinie avait de force d’âme) suffit pour conserver aux Latins leur puissance, et à cet enfant le royaume de son aïeul et celui de son père. Je ne déciderai point (car comment certifier des faits d’une si haute antiquité ?) si c’est bien d’Ascagne qu’il s’agit, ou d’un autre enfant né de Creuse, avant la chute de Troie, et qui accompagna son père dans sa fuite ; de celui enfin qui portait le nom d’iule, et auquel la famille Julia rattache son origine. Cet Ascagne donc (quelle que soit sa mère et le lieu de sa naissance, il est certain qu’il était fils d’Énée), voyant la population de Lavinium s’augmenter à l’excès, laissa cette ville, déjà florissante et considérable pour ces temps-la, à sa mère ou à sa belle-mère, et alla lui-même fonder, au pied du mont Albin, une ville nouvelle, qui, étendue en long sur le flanc de la montagne, prit de cette situation le nom d’Albe-la-Longue. Entre la fondation de Lavinium et l’établissement de cette colonie sortie de son sein, il s’était écoulé environ, trente ans. Et dans cet intervalle cet état avait pris un tel accroissement, surtout par la défaite des Étrusques, qu’à la mort même d’Énée, et ensuite pendant la régence d’une femme et l’apprentissage que faisait son jeune fils de l’art de régner, ni Mézence et ses Étrusques, ni aucun autre peuple voisin n’osèrent remuer. Le traité de paix avait établi pour limite entre les Étrusques et les Latins, le fleuve Albula, aujourd’hui le Tibre. Ascagne a pour successeur Silvius son fils, né, je ne sais par quel hasard, au fond des forêts. Il est père d’Énée Silvius, qui a pour fils Latinus Silvius. Celui-ci fonda quelques colonies ; ce sont les Anciens Latins ; et depuis ce temps, Silvius resta le surnom commun de tous les rois d’Albe. Puis se succèdent de père en fils, Alba, Atys, Capys, Capétus, Tibérinus : celui-ci se noie en traversant le fleuve Albula, auquel il donne son nom, devenu si célèbre dans la postérité. Tibérinus a pour fils Agrippa, qui lui suc-