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écrits et leurs images ; et, six siècles plus tard, Grégoire VII, dans la crainte que les prodiges rapportés dans cette histoire ne parussent favorables à la cause du paganisme, en fit, à son tour, brûler pieusement tous les exemplaires qu’on put trouver. Sous Domitien, admirer Tite-Live était un crime ; et cet empereur, suivant Suétone, fit mettre à mort Métius Pomposianus, qui portait toujours sur lui les harangues extraites de l’historien, et avait fait prendre à quelques-uns de ses esclaves les noms d’Annibal et de Magon.

Il existe de curieux témoignages de l’admiration dont Tite-Live a été l’objet. Au moment de la renaissance des lettres, on voit un savant, Antoine de Palerme, vendre une de ses terres pour acheter un exemplaire de son histoire, copié de la main du Pogge. Alphonse V, roi d’Aragon, déclare publiquement qu’il doit ses plus grands plaisirs et la guérison d’une longue maladie à la lecture de Tite-Live ; il est vrai que d’autres disent à celle de Quinte-Curce. Cosme de Médicis, pour obtenir une heureuse issue d’une négociation entamée à la cour de Naples, n’imagine pas de meilleur moyen que d’envoyer à ce même Alphonse une belle copie de l’historien qui guérit ses maux. Un pape fonde une chaire pour expliquer Tite-Live, dans ce même Capitole d’où l’avait anathématisé un autre pape et proscrit un empereur. Enfin, Henri IV eût, disait-il, donné une de ses provinces pour la découverte d’une décade de l’historien latin.

Nous n’avons point à discourir dans cette notice sur le mérite de Tite-Live ; Quintilien l’a mieux apprécié, en l’égalant à Hérodote, que ceux qui l’ont voulu comparer à Thucydide. On sait seulement, d’après ce grammairien célèbre, que Pollion, connu pour la pureté de son goût, reprochait à Tite-Live sa patavinité. Mais quel est ce reproche ? Les savants, comme d’ordinaire, ne s’accordent point sur le sens qu’on doit attacher à ce terme. Les uns croient que le reproche s’appliquait à l’orthographe de certains mots où Tite-Live, en qualité de Padouan, employait une lettre pour une autre, sibe, quase, pour sibi, quasi ; et d’autres, à l’emploi de plusieurs synonymes dans la même phrase, ce qui, à Rome, faisait aussitôt distinguer ceux que la province avait vus naître. Tomasini, auteur d’une vie de Tite-Live, a donné une autre explication, un peu forcée, ce semble. Les Padouans, dit-il, avaient, dans la guerre civile, embrassé la cause de la république. Pollion, attaché au parti d’Antoine, n’avait pu forcer Padoue à lui livrer des armes et de l’argent, et, ne pardonnant point au Padouan Tite-Live son affection pour les républicains, il l’accusait de patavinité dans le même sens qu’Auguste l’appelait Pompéien. Rollin, après Sossius, interprète ce mot par des expressions sentant la province, et conjecture que Tite-Live, né et élevé à Padoue, n’avait pu acquérir entièrement cette délicatesse de l’urbanité romaine, qui ne se communiquait pas à des étrangers aussi facilement que le droit de bourgeoisie ; délicatesse qu’il nous est impossible d’apprécier, mais qui ne pouvait échapper au goût des Romains, même les moins lettrés. C’est l’histoire de ce célèbre écrivain grec, qui, après un long séjour à Athènes, y fut, à sa prononciation, reconnu pour un provincial par une marchande d’herbes.


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