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JOURS DE BATAILLE

dix-huit mois et dix-huit ans. Combien ?… Huit, neuf peut-être ?…

Nous ne connaissons plus ce luxe, chez nous. Ici, la marmaille abonde, une jolie marmaille brune, qui se bourre de confitures de pistaches et de loukoums, et répond très bien, en français, quand on l’interpelle.

Tous ces gens, réfugiés à l’hôtel Bristol, n’ont d’autre occupation que de lire les éditions successives des journaux, — il en paraît trois ou quatre par jour, — et d’échanger des réflexions plutôt pessimistes.

Ils ont vécu, pendant trente-trois ans, en pleine terreur, sous la menace perpétuelle des espions et des estafiers d’Abdul-Hamid. La servitude et la crainte ont durement marqué leurs âmes. Qui ne comprendrait cela risquerait de les mal juger, en donnant à leurs inquiétudes, à leur nervosité, à leur crédulité singulière, un nom désobligeant… Peureux ? Ils sont peureux, certes, même ceux qui, devant le péril certain, imminent, feraient bonne contenance. Ils s’affolent d’avoir abandonné