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LA VIE AU HAREM

d’aller en Europe, pour opération, mais je n’ai pas vu les villes, rien que la maison de santé.

» Je reviens chez moi, très bien guérie. Mais Djavid Pacha est tout changé. Il était l’amant d’une esclave, que j’avais élevée moi-même, comme ma fille, une esclave très jolie, de vingt ans. Et c’était bien mal, à cause de ce grand amour que nous avions eu ; et aussi parce que j’avais été une bonne épouse ; j’avais donné tout mon argent ; et Djavid Pacha était devenu un haut fonctionnaire, un vali. C’était avant la Constitution. J’avais tant de douleur que je pleurais nuit et jour, et tous les soirs, je faisais querelle… Je voyais que mon mari ne m’aimait plus. Il n’était jamais content. Si je mettais des fleurs sur la table, il disait : « Pourquoi le couvert à la franque ? Je suis Turc ; je veux manger comme les Turcs… » Si je parlais de la philosophie, il me disait : « Est-ce que j’ai épousé une franque ? Si j’en avais voulu une, je ne t’aurais pas prise. » Et il caressait, devant moi, cette esclave qui n’était pas civilisée du tout.