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PREMIERS JOURS

ne savent pas lire écoutent un « savant » qui lit et commente le journal. Dans un lit, un gamin de quinze ans s’enfonce sous les couvertures, à ma vue, et me tourne le dos. Sélika lui touche l’épaule, le gronde de sa bouderie. Il ne bronche pas. Alors, gentiment, elle le « borde », comme un petit frère :

— Ce petit-là, dit-elle, il s’est sauvé de la maison pour aller se battre et il a reçu une balle dans la jambe. Il guérira, mais ce sera long, car il n’est pas sage et n’obéit pas aux médecins.

Au chevet des lits, sur les murs, on a épinglé des cocardes, des images patriotiques. Le soleil projette sur le sol un beau chemin doré, brûlant, glorieux. La force de la jeunesse et de la vie, l’enthousiasme du sacrifice et de la victoire, la joyeuse espérance semblent s’exalter dans la merveilleuse lumière, et rien au monde ne serait moins triste que cette chambre d’hôpital, s’il n’y avait, sur les oreillers pâles, de pâles figures creusées, ravagées, qui ne se contractent pas, qui ne gémissent pas, qui atten-