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PREMIERS JOURS

les rubans, les rinceaux et les coquilles de notre XVIIIe siècle français. Derrière les fenêtres longues, grillées d’or, des rideaux de soie claire, à bouquets, se croisent. Est-ce un salon de musique, une salle de collation, une chambre d’amour où veille l’ombre dépaysée de Watteau ? Je m’approche. Je regarde… Ni meubles, ni tentures, ni fleurs : des flambeaux d’argent, avec des cierges de cire jaune, posés sur un tapis couleur de turquoise morte et de rose fanée ; un pupitre de bois supportant un Coran ouvert ; et sur l’estrade que défend une balustrade d’ébène, un cercueil très haut, couvert d’une très ancienne soie rouge, élimée, usée, mangée…

C’est le cercueil d’une sultane morte depuis cent ans et plus. Pieuse, elle a légué de grosses sommes au clergé musulman, afin que son dernier logis, son turbé, fût entretenu par les prêtres. Et les prêtres lui ont donné un gardien, un hodja, qui habite tout près d’elle, dans une cellule, et soigne le jardinet où sont ensevelis les parents, les amis, les serviteurs