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ET DE RÉVOLUTION

chaînes, voici des imprimeurs de pamphlets clandestins. Les soldats qui les suivent portent des liasses de papiers attachés tant bien que mal avec des ficelles. À voir ces malheureux passer, tout près de moi, et disparaître sous l’arc de la grande porte ; à distinguer sur leurs visages les expressions fugitives de l’angoisse et de l’ironie ou le masque de la résignation hautaine ; à penser que beaucoup d’entre eux, qui sont là, vivants, au soleil, vont mourir, j’éprouve non pas de la sympathie, mais du malaise, la gêne d’être venue en curieuse, et l’intérêt apitoyé qu’inspirent toujours les vaincus.

Soudain, dans la foule qui se replie et livre passage, un drapeau vert surgit, puis un drapeau rouge, et l’on entend le frottement caractéristique des sandales en peau de buffle sur le pavé, le bruit étouffé, glissant, d’une troupe en marche. Quelques applaudissements s’égrènent, suivent le sillage de cette troupe, dans la houle bariolée de l’esplanade. Et la voilà, enfin, tout près… C’est une bande albanaise ou bulgare, une