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JOURS DE BATAILLE

réguliers ou des bandes de volontaires. Dans les petites rues, les maisons de bois, accotées l’une à l’autre, et dont toutes les lignes semblent de travers, gardent leur physionomie de vieilles, sourdes, aveugles, closes sur des secrets. Mais les stores blancs, derrière les caffess ajourés, palpitent parfois comme des paupières. Toutes les dames de Stamboul sont aux aguets. Leurs yeux invisibles qui voient, aimantent mes yeux qui les cherchent et les devinent. Mères, épouses, filles de musulmans, elles ont ressenti plus que toutes les autres dames de Constantinople les répercussions tragiques du grand drame national. Elles ont perdu des êtres aimés ; elles tremblent pour des coupables très chers ; elles bénissent le retour d’exilés qu’elles croyaient perdus. Sous ces milliers de regards féminins, les hommes armés, les chevaux, les canons, les baïonnettes, les drapeaux déployés coulent, masse pressée, ondoyante, lente, aux remous de fleuve.

L’énorme place, entre le Séraskiérat et la mosquée Bayazid, est comme une mer où ces