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le bonheur conjugal

Guide bleu. Et puis, au repas de midi, au repas du soir, il posait à côté de son assiette, un tas de journaux de France, et il les couvait d’un regard dévorateur.

Il pensait à ses affaires. Il pensait à son bureau, à son usine, à son étude, à ses employés, à ses paperasses, à toute cette vie qui était sa vraie vie, hors de quoi il était un exilé, furieux de perdre son temps, contraint à jouer un rôle sentimental qui ne lui convenait pas, dans cette Venise puante et délabrée.

Et maintenant — après dix années, — j’imagine ce couple, tel qu’il est devenu probablement. Le mari est un mari convenable, un bon père, et sa femme n’est pas du tout malheureuse. Elle craint seulement d’engraisser. La vertu secrète du mariage, qui le fait durer, a si bien adapté ces deux êtres l’un à l’autre, que la femme a pris les idées, les opinions, les goûts et les dégoûts du mari. Elle est une dame, comme il est un monsieur. Elle remplit les contours de la figure conventionnelle de l’épouse. Tout ce qui était personnel à la jeune fille, ses pauvres petits désirs, ses pauvres petites aspirations, son