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— Je ne suis pas prête, dit-elle en accueillant son amie dans la sombre salle à manger, dont elle avait fait une antichambre. Non, n’entrez pas là : c’est la cuisine, toute petite et toute vilaine, mais qui ne sert presque jamais. Je mange au restaurant : c’est plus commode et moins triste… Venez… C’est ici le salon et, en même temps, c’est une chambre, et la pièce à côté, toute claire, est mon cabinet de toilette… J’y mettrai plus tard mon petit garçon.

Elle tira le voile indien suspendu à une barre de cuivre, devant l’unique fenêtre de la chambre. Par-dessus les « mystères » de mousseline, mademoiselle Bon admira la vue des quais, du Pont-Neuf au pont Saint-Michel, la Seine verdâtre couverte de péniches, les arbres inclinés, le lourd Palais de Justice, en face, avec son escalier blanc ; à gauche, les toits violets du Louvre ; à droite, Notre-Dame, grise, dans le ciel gris…

— C’est très joli, dit la vieille fille, sans conviction, mais il y a trop de bruit : les omnibus, les bateaux… J’aime mieux le dedans que le dehors.

Elle s’assit sur le petit divan qui servait de lit à Josanne. La chambre-salon était haute, longue, avec des placards à boiseries blanches, un carrelage dissimulé par des nattes japonaises, et, sur les murailles, un papier uni, d’un vert très doux. Deux fauteuils de jonc, une table à écrire, une étagère bibliothèque, une commode vermoulue en bois de rose, un bassin de cuivre plein de chardons azurés, un vase de grès jaune où des « monnaies du pape » faisaient jouer la lumière sur leurs piécettes d’argent, des photographies, quelques plâtres, amusaient les yeux par des