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des modèles voués par la misère à l’impudeur. Car mademoiselle Bon étendait sa bonté sur toute l’humanité féminine exploitée et corrompue par l’homme. Elle vivait parmi les tristes passagères des asiles, des refuges, des maternités, parmi les vieilles incurables, les enfants abandonnés, les filles-mères, les libérées de Saint-Lazare. Elle passait en ce monde, faisant le bien et dénonçant le mal, sincère, touchante et ridicule avec ses éternels lainages noirs et ses crêpes couleurs de rat, ses gants reprisés, sa rotonde doublée de lapin, sa figure de bonne sans place, chétive et craintive. Une capote, où se mêlaient des raisins noirs, du jais, des plumes et de la guipure, découvrait son front bombé à la flamande, et ses deux petits bandeaux bien tirés, bien lisses, rayés par le peigne et qui semblaient peints sur la peau.

Au Monde féminin, mademoiselle Bon tenait la rubrique des Œuvres. On la cachait dans un bureau obscur, au bout d’un couloir où les abonnés n’eussent jamais pu la découvrir. On l’estimait, on l’employait, mais on ne l’avouait pas. Son inélégance était une tare.

Au troisième étage, une porte s’ouvrit, démasquant un coin d’atelier, un lit défait, un jeune homme couché dans le lit et une petite drôlesse brune, en jupon court et en chemise, un broc à la main : elle allait chercher de l’eau à la fontaine du palier. Ce spectacle de débauche affligea mademoiselle Bon. Elle eut un regard de pitié pour la fillette, et, pour le jeune homme, un regard de mépris. Et elle gravit le quatrième étage.

Josanne habitait là, depuis cinq semaines.