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Aignan, monsieur le chanoine Coulombs s’intéressent à notre famille… Croyez-moi, ma petite Josanne : votre vie est ici, maintenant.

Cette pensée révoltait Josanne. Elle préférait la lutte, les risques, la fièvre de Paris au doux enlisement provincial. Elle n’avait pas la vocation d’institutrice, et tous les enfants, sauf le sien, l’ennuyaient.

Mais, ce soir-là, ce morne soir, Josanne s’étonnait d’être presque résignée, presque décidée à ce renoncement suprême. « Non pas convaincue, — vaincue ! pensait-elle. Le ressort de mon énergie est brisé ; je n’ai plus la volonté de vivre une vie personnelle. Je suis à terre… Je ne me relèverai plus ; je me traînerai. Et que ce soit ici ou ailleurs, qu’importe ? »

Tout à l’heure, pendant le repas du soir, elle annoncerait sa résolution à mademoiselle Miracle.

« Paris… Que deviendrais-je à Paris ?… Je n’ai plus d’amis : Pierre les avait tous éloignés… Je n’ai pas d’argent. J’ai vendu mes pauvres meubles. Comment subsister, en attendant un emploi ? Ce serait la misère, et la pire solitude… Non ! je ne ferai pas cette folie ; je resterai… »

Elle regarda la place, autour d’elle. L’ombre grise du soir submergeait les façades à pignons, les toits bleuâtres et bruns, les arbres roux. Mais la cathédrale, énorme et légère, s’affinait, s’élançait, offrant à Dieu ses flèches inégales qui retenaient à leurs pointes un dernier reflet de jour. L’ombre pourtant les enveloppa, des porches aux galeries, et l’Angélus, colombe de crépuscule, descendit de la tour la plus haute, à travers toute cette ombre, lentement…

Alors, un par un, les réverbères piquèrent la nuit