Page:Tinayre - La Rebelle.djvu/70

Cette page a été validée par deux contributeurs.

plus que tu ne crois… Et ce n’est pas ta faute si nous n’avons pas eu de bonheur… Je n’ai mis, dans ta vie que le désordre, l’angoisse et la souffrance… Peut-être ne suis-je qu’un lâche !… Mais je sens que ma mère a raison : je ne suis pas fait pour cette existence ; je ne peux plus…

Josanne comprend que la décision de Maurice est réfléchie, solide, inébranlable. Discuter, gémir, à quoi bon ?

Elle dit seulement :

— Notre fils ?

Maurice détourne les yeux. L’émotion le prend à la gorge ; ses nerfs vont le trahir… Il faut que cette scène finisse. Et pourtant il n’ose pas s’en aller. Il voudrait dire une parole d’adieu, presque tendre, qui rassurât sa conscience et qui ne l’engageât pas. Mais que dire à cette femme blême, chancelante, et si pitoyable dans sa robe usée, avec ce fardeau vulgaire qu’elle porte : le repas du ménage, la vie du ménage, le boulet du ménage !… Comme tout cela est misérable, et tragique, et navrant !

Ils restent, un instant, muets, regardant l’herbe qui verdit les pavés… Un vent tiède agite des branches fleuries, par-dessus le mur de l’École normale… Une cloche sonne à la Congrégation du Saint-Esprit.

Des souvenirs se lèvent des arbres, des pierres, au rythme de la cloche… Là, dans cette même rue, un soir d’hiver, sous la pluie, Josanne et Maurice s’arrêtèrent pour unir leurs bouches. Le reflet des réverbères tremblait dans les flaques. Une cloche tintait… Et d’autres souvenirs, épars, surgissent : la villa de Bellevue… un matin de neige, au Bois… la petite