Page:Tinayre - La Rebelle.djvu/61

Cette page a été validée par deux contributeurs.

un livre, une fleur. — Elle s’est fait, presque, du bonheur avec le médiocre amour de Maurice, dans les minutes où elle a pu oublier le passé, oublier l’avenir, vivre le présent. Et c’est le secret de sa résistante jeunesse. Josanne aura toujours quinze ans, par quelque aspect de son visage mobile, par quelque mouvement naïf de son cœur.

Elle s’en va, vive et légère, balançant son filet. La voici dans la rue du Pot-de-Fer ; la voici dans la rue Mouffetard… Elle s’amuse à retrouver, après le Paris de Balzac, le Paris d’Eugène Sue… La rue Mouffetard, sinistre et joyeuse, bruyante, odorante, grouillante, hideusement belle comme un vicolo de l’ancienne Naples… Josanne qui, d’abord, s’en effraya, l’observe maintenant avec une curiosité passionnée. Tout l’intéresse : les couloirs tortueux des bâtisses, peintes en ocre ou en lie de vin, le soleil qui tape de côté, les jeux de l’ombre ; la variété des boutiques, les industries du pavé, les types, les propos, les coins de vie populacière… Sans doute, elle préférerait le bois de Boulogne ou le Parc Monceau, pour sa promenade matinale… Mais quoi ! lorsqu’on n’a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l’on a… Les préjugés bourgeois, la fausse délicatesse n’embarrassent pas Josanne…

Elle achète son beurre chez la crémière au teint de lait, aux cheveux blonds comme le beurre, qui boite un peu — telle « Gervaise » de l’Assommoir. — Elle apprend que la marchande de « frites » est à l’hôpital, que la vieille au mouron « a tombé » dans la rue et que la fille du tripier se marie demain : on fera une noce épatante… Plus loin, devant l’église Saint-