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joyeux gonfle sa poitrine, et, baisant la chair de sa chair, Josanne est mère comme elle fut amante, — sans remords, ingénument.

— Maria, faites déjeuner Claude et laissez reposer monsieur. Il a bien dormi. Je suis contente… Vous nettoierez les vitres et vous laverez le carrelage de la cuisine. Moi, je vais au marché.


Josanne est prête. Elle a mis une vieille jupe de cheviotte bleue, soigneusement nettoyée, un boléro pareil, une ceinture de cuir fauve. Une voilette de tulle brodé pare son grand « canotier » pelucheux. Et cette toilette, qui ne vaut pas soixante francs, n’est pas laide… Les ouvrières parisiennes portent des robes qui ressemblent à celle-ci, des chapeaux qui ressemblent à celui-là, — mais non point comme Josanne, avec cet air de distinction, cette allure de « dame » qu’elle garderait sous un sarrau de brunisseuse.

Elle tient, dans sa main gantée, le filet à provisions. Tous les matins, elle fait son marché, elle-même, pour économiser les vingt ou trente sous que la Tourette gâcherait. Car la Tourette, semblable à tant de ménagères du peuple, achète avec indolence et marque un goût répréhensible pour le « tout fait », la charcuterie, les légumes bouillis, — haricots, épinards, qu’on débite chez les crémières.


Dehors, pas un souffle : un ciel blanc, ouate, que le soleil chauffe à l’envers. L’air est tiède, trop tiède, et le printemps précoce fermente dans cette tiédeur. Par-dessus les murailles des jardinets, les branches se