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toi, Josanne, n’as-tu pas, au fond de ton cœur, un peu de compassion, un peu de mélancolie ?…

— Non…, rien… Il me semble, à cette minute même, que je te rapporte l’histoire d’un autre homme et d’une autre femme… Une histoire qu’on m’aurait contée il y a longtemps… Et cet homme, cette femme, ce n’est pas lui, et ce n’est pas moi… J’avais moins d’irritation que de gêne, et cela me paraissait extraordinaire, invraisemblable, que cet homme fût là !

Le soleil fondait les gouttelettes irisées contre les vitres. L’indienne du rideau, pénétrée de jour, étalait les bleus vifs et les verts frais de ses floraisons chimériques. Un tramway passa en grinçant, et les piécettes nacrées des « monnaies du pape » se dispersèrent autour du petit vase jaune…

Ce bruit, ces choses éparses, la lumière pure, un livre ouvert sur la table, ressuscitaient dans l’esprit de Noël des images lointaines… Il revoyait un crépuscule printanier, les gestes de Josanne, drapant le rideau ou tenant la statuette… Il se revoyait lui-même, maniant le volume relié en maroquin bleu… Ce jour-là, son amitié amoureuse s’était heurtée au passé ! Et, depuis, quelle lutte sourde, incessante et furieuse !…

Et maintenant, après le dernier assaut et le dernier choc, le passé n’était plus que cendre et poussière.

Comme naguère, dans le jardin de Cernay, Noël prit entre ses mains la tête chérie de Josanne… Il s’enivra de baiser le beau front intelligent où la pensée se formait, pareille à sa pensée ; les yeux fidèles qui reflétaient ses yeux dans leurs miroirs sombres ; les lèvres dociles à ses lèvres et qui ne mentiraient jamais… Il voulut parler, mettre toute sa foi, toute