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— pas lourds des ouvriers allant au travail, cris des marchands, fracas de roues et de ferrailles, claquement de fouets, piétinement des chevaux… La sirène d’un bateau prolongea sa plainte lugubre, déchirante, qui secoua les nerfs de Noël… Le petit jour blêmissait le visage endormi de Josanne. Pâle, avec des teintes cireuses sur le front, un cercle violacé sous les yeux, elle respirait si lentement que Noël, crispé par l’angoisse, faillit l’appeler tout haut pour l’éveiller…

Une main sur le fauteuil de Josanne, une main sur le lit de Claude, il contemplait ces deux êtres qui étaient devenus siens, qu’il ne séparait plus dans sa tendresse, et, bien que son cœur parlât plus fort pour la mère, ce cœur, naguère hostile, s’attendrissait pour l’enfant. Claude n’était plus l’énigme haïe qui hantait l’amant jaloux :

« Qui es-tu ? De quelle race es-tu ? Quel nom véritable devrais-tu porter ? Qu’as-tu gardé de ton père que ta mère reconnaît en toi, malgré elle ? Quelle heure de sa vie lui rappelles-tu ? — quelle heure de folie, de faiblesse et de volupté ?… »

L’effort quotidien de Noël avait éloigné l’obsession abominable.

Claude n’était plus que le fils de Josanne, et le frère aîné de cet autre fils de Josanne qui naîtrait un jour…

Cette pensée de l’enfant futur, passionnément désiré, et déjà conçu peut-être, cette douce et chère pensée fut douloureuse à Noël… Il revit le carrefour du Bois, la lune à travers les branches, les couples errants, les lumières d’Armenonville… Quel affreux mouvement de haine avait soulevé son âme, ce soir-