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que ce seul instinct subsistait en elle : Josanne n’était plus amante ; elle n’était plus femme : elle était la femelle farouche, tapie auprès du nourrisson qu’elle défend. Et, devant ce drame qui commençait, — drame aussi ancien que le monde, et qui se renouvelle chaque jour autour des berceaux, — Noël fut saisi de pitié, de respect et de terreur… Il entrevit la plus grande douleur humaine, celle que l’homme ne peut mesurer, qu’il ne peut même imaginer, et qui demeure, pour lui, aussi mystérieuse que les souffrances de l’enfantement… Le sentiment de son impuissance le tortura. Il essaya de proférer les paroles consolatrices qui ne trompaient pas Josanne. Elle secouait la tête, et, lentement, elle répondait :

— Oui… peut-être… Tu as raison… Je ne m’affole pas, tu vois bien…

Mais, en parlant ainsi, elle ne détournait pas de Claude son regard sec, ardent, son regard qui vivait seul, dans son visage immobile.

Ce fut une longue, lente, affreuse nuit… Malgré les soins, les calmants, les applications de glace, la température du malade s’élevait. Et les crises se multipliaient : convulsions des membres tordus, appels suppliants, épouvantes du délire, et parfois, ce même cri plaintif, monotone et sinistre, qui ne ressemblait à aucun autre. En approchant la lumière, tamisée par un abat-jour de papier, Noël vit avec effroi, dans la petite figure rouge et brûlante, les yeux grands ouverts avec leurs pupilles noires inégalement dilatées… Et Josanne, serrant le poignet de Noël jusqu’à enfoncer ses ongles dans la chair, murmura :

— Tu as vu… tu as vu ses yeux ?…