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force du passé est invincible », et qu’une femme demeure attachée, dans le secret de son cœur et de ses sens, au premier homme qui la posséda. Ces aphorismes peu nouveaux avaient tiré des larmes aux spectatrices, et même aux jeunes personnes qui embellissent les répétitions générales et dont « tout Paris » peut compter les amants… Les possesseurs actuels de ces dames avaient fait la grimace ; mais les hommes mariés ne dissimulaient pas un léger sourire de satisfaction, — chacun étant « le premier » pour sa femme, ou croyant l’être. On trouvait bien que les suicidés apportaient quelque exagération dans leur désespoir, mais ne montraient-ils point, par cela même, la puissance jalouse de leur passion et l’exquise délicatesse de leurs âmes ?

Noël quitta son fauteuil. Il connaissait toutes les figures notoires des répétitions générales, critiques, journalistes, gens de lettres et gens de théâtre, et ceux que l’on voit partout, dont personne ne sait les noms, amis des amis de l’auteur, cousins des ouvreuses ou neveux des machinistes… Ce soir-là, la comédie de l’entr’acte ne l’amusait guère, guère plus que les deux actes qu’il avait dû entendre par courtoisie, car c’était un de ses camarades de lycée — un bien honnête garçon ! — qui avait perpétré l’Ineffaçable

Noël serra quelques mains tendues, salua madame Foucart assise dans une avant-scène, esquiva un raseur, et, traversant les couloirs, heurta Flory qui passait.

— Vous excusez pas ! dit la petite femme, qui sauta presque de plaisir. Je vous tiens, je ne vous lâche pas !… Venez dans ma loge !… Il y a Bichon,