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amour. Et, dans le cas présent, taire la visite de Maurice n’était-ce pas commettre un très grave mensonge ?

« Noël ne me le pardonnerait pas, ce mensonge ! se disait la pauvre Josanne. Il s’indignerait en pensant que j’ai voulu lui épargner un souci. Il n’est pas faible : il est capable d’entendre la vérité douloureuse… Mais il n’est pas un philosophe indulgent. Il n’a pas pu aimer mon fils… Il le tolère seulement… Puis-je hésiter entre un scrupule de loyauté — qui me fut imposé, après tout ! — et le cher intérêt de Claude, l’intérêt de notre bonheur à tous trois ?… Je ne ferai rien de mal. J’écarterai Maurice de mon chemin, et Noël ne saura jamais que j’ai failli revoir cet homme…

Elle descendit à la station de Saint-Paul, sans avoir pris aucune décision.

Dehors, le jour déclinait, pluvieux et doux, imprégnant de poésie automnale le dôme violet de l’église Saint-Paul, les arbres roux du petit refuge, les bâtisses un peu de guingois, peintes d’ocre ou de lie de vin, bariolées d’enseignes jusqu’à leurs vieux toits de tuiles. Les lanternes des hôtels rougeoyaient. Des boutiques s’éclairaient d’une vive lumière jaune, et, à la devanture d’un bazar, quelques mètres de calicot déployé faisaient une raie d’un blanc cru, dans le crépuscule.

Sous sa marquise de verre, la porte de la station simulait une gueule ouverte et phosphorescente qui vomissait, à intervalles réguliers, le triste flot gris de la foule ouvrière. Josanne, poussée par ce flot, ne se décidait pas à traverser la rue. Elle regardait un banc,