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— Quelle malchance !… C’est que je ne sais plus, moi, quand je serai libre…

Elle leva sur lui ses yeux désolés :

— Eh bien, j’irai avec vous, un moment… jusqu’à la Seine.

— Allons !

Il la fit monter avant lui, et, pendant qu’il donnait l’adresse au cocher, elle le regardait avidement, blond, pâle, mince dans la lourde pelisse sombre.

— Josanne, mon petite, tu m’en veux ?

— Oui, dit-elle, oui, je t’en veux ! Tu n’as pas de cœur, tu n’as pas de tact, tu n’as pas…

— Là ! là !… comme tu es méchante, ce soir !…

— Tu m’humilies à plaisir, tu te moques de moi… L’autre jour, je t’ai attendu, au journal : tu m’as envoyé une dépêche… Ce soir, tu as téléphoné pour remettre notre rendez-vous… Tu ne m’écris plus jamais !… Ah ! je suis lasse de tout, lasse de toi, lasse de l’amour, lasse de la vie !…

— Eh bien, vraiment, tu es gentille, mon petit !… En voilà, un accueil !… Moi qui ai bousculé maman, bâclé trois lettres et congédié très impoliment un ami, pour me rendre libre !… Non, tu es extraordinaire !… Je te donne de ma vie tout ce que je peux te donner. Est-ce ma faute si cette part est restreinte ? Que diable ! il n’y a pas que l’amour dans l’existence ! Il faut se faire une raison ! Tu as ton ménage, ton journal ; moi, j’ai mes affaires, ma famille, mes relations…

— Mais tu es libre, toi ! Et moi, je suis tenue, serrée par mille liens… Et cependant je trouve le moyen de te voir, de t’écrire… Ah ! non, laisse-moi.