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serait cette mutilation de son cœur, ce crime contre nature… Mais que ferait-il, si vraiment la présence de Claude, l’existence même de Claude lui devenaient intolérables ?…

« Il faut que je connaisse sa pensée. Je ne peux plus vivre comme ça… Je veux le voir, tout de suite… »

Il était trop tôt pour que Josanne pût se présenter chez Noël ; mais elle était, depuis la veille, dans un état si violent et si trouble qu’elle ne pouvait supporter l’attente et l’inaction. Elle partit donc, résolue à marcher, à « user sa peine ».

Dehors, elle fut surprise par la douceur du matin. Une fine lumière grise et bleuissante baignait les quais, du Louvre à Notre-Dame. Tout était gris et bleu, sauf quelques taches de couleurs si vives et pourtant si délicates, — les sables blonds de la berge, le bariolage des péniches couvrant l’eau verte et laiteuse — L’aiguille de la Sainte-Chapelle luisait, d’un or presque rose. Les gens, sur l’impériale des omnibus, avaient l’air content. Les petites bonnes étaient jolies, avec leurs camisoles claires. On vendait partout des bottes de roses rouges. Et Paris semblait une ville nouvelle, éveillée à la fraîcheur première, à l’aube azurée d’un jour qui serait le plus brillant, le plus ardent, le plus splendide des jours d’été…

Josanne, dans le matin délicieux, passait, étrangère à tout, comme une intruse qui promènerait sa robe de deuil dans une fête.

Le mouvement calma ses nerfs, prêta une sorte de rythme à ses pensées. Elle se ressaisit :

« Voyons… je ne dois pas m’affoler… Noël est un homme intelligent, qui ne peut pas invoquer contre