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peut avoir une passion, sans avoir un amant… La Princesse de Clèves !… »

Il revit le volume de madame de Lafayette sur l’étagère de Josanne, la reliure précieuse, la date et les initiales : « Souvenir du 4 février 18… M. N. » Et il fut, à la fois, triste et rassuré : « Voilà, sans doute, le mot de l’énigme… Josanne a une conscience délicate et scrupuleuse, et ses audaces de pensée restent théoriques… Elle a aimé, et elle s’est reproché l’infidélité sentimentale qu’elle faisait à son mari. Elle a voulu revivre l’aventure platonique de la Princesse de Clèves, — mais l’homme qu’elle avait choisi n’a pas eu la constance d’un Nemours… Et c’est là « le grand malheur, le grand mal, dont elle reste endolorie… »

Noël se persuada qu’il connaissait le secret de Josanne… Puis un doute lui revint : « Quel roman fais-je là ?… C’est absurde ! Josanne ne m’eût pas caché, si tenacement, si pudiquement, l’histoire d’un amour platonique. Ah ! je dois, je veux m’attendre à tout !… Pourquoi ne puis-je m’empêcher de souffrir ?… Je n’étais pas jaloux du mari, ou si peu !… J’aimais l’enfant de ce Pierre Valentin qui est pour moi une ombre, un nom… L’enfant ! Josanne l’adore, ce petit ! Il l’a sauvegardée peut-être. Elle s’est sacrifiée à lui… Qui sait ? l’amour maternel a triomphé de l’autre amour… »

Il sortit des galeries, erra dans les petites rues qui s’entre-croisent entre le boulevard Saint-Germain et les quais. Par moments, son inquiétude faisait trêve : il évoquait l’auberge de Cernay, la voiture, le paysage boisé dans l’or du soleil couchant, et le souvenir du