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cevaient, tout en bas, les rectangles des blés jaunissants, les taches pourpres des trèfles, la houle argentée des seigles, les toits d’ardoise miroitants, l’aiguille d’un clocher et, parmi les rubans dénoués des routes, le panache floconneux d’un train qui s’en allait. Puis le sol remontait, les collines haussaient leurs croupes bleues, d’un bleu opaque, violacé par les ombres flottantes des grands nuages qui passaient lentement contre le soleil, blancs ou gris, avec des crêtes brillantes.

— Écoutez ! dit Noël.

Ils s’arrêtèrent. Dans un champ voisin, des petites filles cueillaient des fraises. La plus âgée se mit à chanter. Et sa voix grêle, qui tremblait un peu, s’envolait comme un oiseau fatigué, planait, retombait à fleur de terre.

Elle était si faible, cette voix, qu’à trois mètres de là on ne l’entendait plus, et elle semblait chanter pour les herbes modestes, les fleurs dédaignées, les vies végétales qu’une goutte de pluie ranime et qu’étouffe un petit caillou. Et, dès qu’elle s’élevait un peu, elle étendait le cercle de son humble enchantement ; elle allait de Josanne à Noël, de Noël à Josanne, prenant leurs âmes au léger réseau mélodique dont chaque note tissait un fil.

On ne distinguait pas les paroles ; l’air banal rappelait les cadences des vieilles rondes, mais l’air et la voix exprimaient tant de douceur ! la douceur même du paysage aux lignes modérées, aux nuances amorties, baigné de bleu et somnolent sous la menace de l’orage. Noël et Josanne étaient tout imprégnés de cette douceur. Et ils avaient la sensation nouvelle et délicieuse du vrai voyage, l’illusion d’être très loin de