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bent d’un seul coup. Il ne sait plus que Renée Monceau existe. Il va, par les rampes de pierre, par les allées tournantes, vers la Seine étalée en bas, vers la rivière qui emporte, dans sa chevelure d’argent, les roses du jour effeuillé, l’or de la lune épanouie… Un vent faible qui fleure le feuillage humide, la terre mouillée et remuée, les vertes sèves, touche le front du jeune homme… Noël respire, largement. Sa poitrine se dilate. Il aime la saison, l’heure, le lieu, la nuit… L’odeur de ses vingt ans refleuris l’enivre… Et il appelle, tout haut :

— Josanne…

Le nom chéri lui vient aux lèvres, comme si ce nom seul contenait toute la douceur du monde, toute la douceur de la jeunesse, de la nuit et du printemps. Noël ne regarde pas en arrière… Il voit, en esprit, dans sa maison de la place des Vosges, sur son bureau, la lettre quotidienne qui l’attend, — la lettre écrite par Josanne, et qui est un peu de Josanne elle-même.

Sur le quai, il arrête un fiacre, se fait conduire au plus proche restaurant, dîne et repart, vite, vite… Paris défile : les arbres ont des feuilles neuves, d’un vert excessif et faux que le gaz éclaire à rebours. Les tables des cafés encombrent les trottoirs. C’est presque un soir d’été, et c’est vraiment un soir de fête…

Dans l’appartement vaste et vide, au second étage d’une vieille maison, l’odeur du « maryland » imprègne les tentures. Des faïences, des panoplies luisent confusément. Le domestique vient d’allumer la lampe. La lumière, rabattue par l’abat-jour de porcelaine, éclaire à peine le cabinet de travail, et se concentre