Page:Tinayre - La Rebelle.djvu/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Six heures trois quarts…

Josanne, la tête vide, les jambes fléchissantes, s’accotait à l’éventaire de la librairie Marpon. Les livres, dans leur robe jaune ou blanche, sollicitaient la curiosité des passants. Quelques-uns s’ornaient de dessins galants ou de photographies d’après nature. Ce n’étaient que jupons troussés, bas noirs, pantalons, corsets délacés, gorge au vent, — le déshabillé plus obscène que le nu, la pornographie pénible et sans grâce.

« Ça, l’amour ? » pensait Josanne…

Elle n’était pas bégueule ; la franchise d’un trait, la nudité d’un mot ne l’offusquaient point, mais elle aimait : elle avait la délicate pudeur de la femme amoureuse, et la volupté lui paraissait une chose secrète et redoutable qu’elle et son amant connaissaient seuls.

Elle prit un roman, au hasard, le feuilleta, le referma. Elle parcourut un volume de critique qui l’ennuya et un recueil de poèmes mystiques bêtes comme des fleurs en papier…

« La Travailleuse… C’est le livre que j’ai vu sur la table de mademoiselle Bon… Encore un roman féministe… ou antiféministe… C’est la mode ! »

Non, ce n’était pas un roman : c’était une longue et minutieuse étude sur les professions et métiers féminins. Il y avait beaucoup de chiffres, et des notes, et des citations, et des tableaux statistiques.

Josanne lut quelques pages au hasard : l’Ouvrière d’usine… l’Employée… la Femme et les Carrières libérales… la Concurrence féminine et ses Conséquences économiques… Esquisse d’une nouvelle moralité féminine.