Page:Tinayre - La Rebelle.djvu/193

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’air, entre Josanne et lui. Il essaya d’être gai et il réussit à égayer Josanne.

Pendant qu’elle goûtait les « fruits rafraîchis » dans une coupe de champagne, il parla de l’Italie qu’il aimait « comme une maîtresse ».

— J’ai pensé à vous, là-bas, très souvent… Oh ! votre première lettre ! Je l’ai lue dehors, sur la place du Dôme, appuyé contre la grille du Baptistère… Je revois distinctement, au bas d’une page, votre nom : « Josanne Valentin ! » J’étais content que ce nom de Josanne ne fût pas un pseudonyme… Et j’aimais ce joli nom, il était si doux à mes lèvres que je le répétais pour le savourer : « Josanne… Josanne… » Et, parce que je suis un imaginatif, et un sentimental, j’oubliais tout à fait l’article qui avait provoqué notre correspondance ; j’oubliais la journaliste, la féministe !… Je voyais, sur cette place de Chartres que je connaissais, une jeune femme, en robe noire, au visage voilé… Oui, jeune, et triste, et seule, et sans amis… Et j’avais, tout à coup, un grand désir que cette femme lointaine fût heureuse…

— Elle était déjà moins malheureuse, grâce à vous !

— Il y a, sur la porte du Baptistère, une figurine de Ghiberti que j’aime entre toutes : une femme svelte, longue, qui garde aux plis de sa robe de bronze un rehaut d’or presque effacé. Elle tourne la tête, et l’on ne voit pas son visage, mais on devine le sourire délicieux… Ma rêverie romanesque s’attachait à ce sourire invisible… J’étais ému, sans raison, comme si un dieu bienveillant m’avait promis un grand bonheur… Et je me disais : « Suis-je ridicule !… suis-je bête !… Cette Josanne, si elle savait, se moquerait de moi !… » Pour-