Page:Tinayre - La Rebelle.djvu/192

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il reprit :

Ma vie, à moi, c’est peu de chose, quand j’y pense ! Malgré tant de travail, et tant de courses à travers le monde, je suis encore au commencement… Je n’ai pas connu les joies qui grandissent l’âme et les douleurs qui la mûrissent. Je suis seul. Je suis jeune… Le chemin est libre derrière moi, devant moi. Je vis dans le présent, pour l’avenir. Je ne suis pas le prisonnier d’un passé !… Mais vous, vous !…

Elle tressaillit :

— Moi !

— Vous êtes contemplative et repliée… J’ai envie parfois de vous dire : « Ne tournez donc pas la tête ! Regardez devant vous, bien droit… »

Il avait parlé d’un ton presque rude, où il y avait de l’amertume et de la souffrance, et de la colère et de la jalousie…

Josanne eut un imperceptible mouvement en arrière :

— Comme vous êtes exigeant !

— Je vous demande pardon, madame… Je n’ai pas le droit, en effet…

_ Mon ami, dit-elle avec douceur, vous avez tous les droits de l’amitié… Mais vous n’avez aucune patience… Laissons faire le temps. Vivons un peu au jour le jour. Nous nous comprendrons l’un l’autre sans nous raconter l’un à l’autre… Vous m’avez déclaré, vous-même, que vous n’étiez pas confidentiel… Est-ce que je vous demande, moi, les petits secrets de votre âme ?

— C’est vrai, dit-il, et c’est ma tristesse : vous ne me demandez rien…

Et, par un de ces revirements d’humeur dont il était coutumier, il fit le geste d’effacer quelque chose, dans