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Josanne songeait, sans plaisir, à son logement vide et froid. Elle se trouvait bien, dans la bonne chaleur, la lumière joyeuse, près de Noël. Accoudé sur la nappe à carreaux rouges, la cigarette aux doigts, il disait :

« À Florence… » « À Vienne… » « À Londres… » « Il y a cinq ans… » « Il y a sept ans… »

Elle l’écoutait, fascinée par la voix nette, le geste précis, les beaux yeux voilés parfois de mélancolie passagère. Et lorsqu’elle regardait les hommes assis aux tables voisines, Français nerveux et bavards, blonds Scandinaves aux larges épaules, Anglais au teint de jeune fille, elle les trouvait falots ou vulgaires, d’une force pesante ou d’une gentillesse efféminée…


C’est ainsi que Noël devint un client de Mariette. Il cessa d’aller dans le monde pour retrouver son amie, presque chaque soir… Et leur premier dîner en tête à tête fut suivi d’autres dîners et déjeuners innombrables, car Noël et Josanne ne trouvèrent aucun moyen plus simple, plus commode et plus convenable d’être ensemble sans être seuls.

Et dans la vie intérieure de Josanne, dans ces grises ténèbres où flottaient les spectres du passé, ce fut peu à peu la blancheur d’une aube.

Elle pensait :

« Je suis moins triste. Je m’habitue à vivre sans amour… Dans quelques semaines, j’irai chercher mon fils, et la tendresse maternelle, une amitié sûre, le travail, l’indépendance, cela peut faire un bonheur très suffisant. Je n’oublierai jamais Maurice, mais j’espère ne plus le revoir, et mes souvenirs perdront