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— Vous dînerez très mal, je vous en préviens.

— Je suis trop heureux pour mal dîner. C’est vous qui êtes fâchée… Je le sens… Vous boudez. Vous regrettez de m’avoir parlé de Mariette…

— Quel enfantillage !…

C’était vrai, pourtant, que Josanne regrettait un peu son imprudence. Elle n’avait pas peur de se compromettre en dînant au restaurant avec un jeune homme qui était son ami très respectueux. Dans le monde où elle vivait, la camaraderie confraternelle et les nécessités mêmes du métier modifiaient les relations des hommes et des femmes, affranchis par force ou par gré des « convenances » bourgeoises. Josanne trouvait tout naturel de dîner avec Bersier, ou même avec Isidore Foucart, quand le devoir professionnel les appelait ensemble au même lieu, à la même heure. Bersier était un confrère, Foucart était le « patron », c’est-à-dire qu’ils ne comptaient pas… Et eux-mêmes ne voyaient en Josanne que la collaboratrice — la journaliste. — Près de Noël, la journaliste redevenait simplement une femme, qui avait des timidités saugrenues, des scrupules excessifs. Quand tout son cœur l’entraînait en avant, elle s’appliquait à rester lointaine…

« C’est ridicule, à la fin, pensa-t-elle, vaincue par son désir ; monsieur Delysle va croire que j’ai peur de lui… et je n’ai peur de personne. Je ne suis pas une petite fille romanesque ; je suis une femme de trente ans, libre, et qui a payé cher son expérience… Mon passé me défendrait, au besoin, des exaltations sentimentales… Ce jeune homme, qui ne m’a jamais dit un mot de galanterie, a vu d’abord en moi un