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salons corrects. Elle ne ressemblait pas davantage aux maîtresses qu’il avait eues et aux maîtresses qu’avaient ses camarades. Ni bourgeoise, ni bohème. — mais plus bohème, pensait-il, que bourgeoise. — Elle dérangeait toutes les idées qu’il s’était faites ; elle l’étonnait, le décevait, l’enchantait, l’irritait tout ensemble. Pauvre, elle ne se plaignait pas de la pauvreté, contrainte au travail, elle éprouvait une fierté ingénue et déclarait cependant qu’elle n’avait aucun mérite ; liée à un malade, à un maniaque, elle se dévouait avec une patience inlassable, qui n’allait point sans tendresse. Elle disait : « J’ai adopté mon mari. Je ne l’abandonnerai jamais… » Elle avait un amant et elle ignorait le remords. Elle expliquait toutes les contradictions de son cœur et de sa vie en disant : « Je ne peux pas vivre sans bonheur. Et la volupté du sacrifice ne me suffit pas… Je ne suis pas une sainte ; je ne suis pas une héroïne : je suis une femme, très femme… »

Elle ne fut pas heureuse longtemps, la pauvre Josanne. Un jour, dans la petite chambre où Maurice la recevait, elle eut une crise de sanglots.

— Qu’as-tu ? demanda-t-il effrayé. Tu as du mal ou du chagrin ?

— Je ne sais pas… Je suis épouvantée de ce qui m’arrive, et malgré tout… cela m’émeut… cela me trouble le cœur… Et j’ai si peur de te le dire !

— Quoi ?

— Ô mon chéri, je crains… Je… je suis enceinte.

Elle attendait des paroles d’amour, des paroles de pitié, le geste tendre qui protège. Elle croyait que Maurice allait dire : « Je suis libre ; dispose de moi ;