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Les paroles de Foucart avaient mis une inquiétude véritable au cœur de Josanne. Elle attendait vaguement Noël. Il arriva enfin, l’air joyeux :

— Il fait bon, chez vous… Dehors, c’est le déluge… Comment allez-vous ?… bien ?… pas trop fatiguée ?… Je voulais venir hier : impossible ! Je dînais parmi les grands de la terre, et j’étais en retard. J’ai dû écrire vingt lettres avant de m’habiller… Ah ! je suis content !

— Pourquoi ?

— Parce que je suis là… Je m’ennuie partout, en ce moment : j’ai une crise d’ennui… C’est la première fois, depuis bien des années… Le travail même ne me guérit pas.

— Vous vous ennuyez parce que vous êtes trop heureux.

— Par exemple !

— Les gens très malheureux ne s’ennuient jamais. Le travail forcé, le souci du pain quotidien les empêchent d’analyser leur état d’âme. Mais vous, à qui la vie est clémente, qui êtes seul, et ne pensez qu’à vous seul…

Noël se mit à rire :

— Appelez-moi donc sybarite, bourgeois satisfait et capitaliste repu !…

— Vous vous ennuyez parce que vous menez une existence artificielle… L’homme est égoïste, mais sociable. Mariez-vous !

— Par égoïsme ?… Par « sociabilité » ?… Non !… Je voudrais… Ah ! je voudrais entreprendre quelque chose de très difficile, devenir un grand homme, bouleverser le monde, et faire tout le bonheur ou tout le