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comme une épée dont Josanne sentait encore le contact immatériel ?

Blottie dans son fauteuil d’osier, engourdie par la chaleur entêtante et le sifflement monotone de la cheminée à gaz, Josanne laissait glisser sur ses genoux le livre entr’ouvert, la broderie commencée…

Elle pensait :

« Le dîner est fini, maintenant… Les hommes sont au fumoir ; les femmes sont au salon. Je suis sûre que monsieur Delysle cause avec les femmes… »

Ou bien, d’autres soirs, elle songeait que son nouvel ami était seul, comme elle, entre la lampe et le foyer, dans cet appartement de la place des Vosges dont il vantait les hautes fenêtres, les boiseries, les vieux meubles.

« Je ne le verrai jamais chez lui… Quel dommage ! Il n’y a pas d’amitié parfaite sans intimité, et l’intimité est bien difficile entre un jeune homme et une jeune femme… Mais, peut-être, cela vaut mieux… Nous ne vivons pas dans le même monde. Nous serons séparés, forcément, par ses longs voyages… Tôt ou tard, il se mariera… Qu’il reste donc au seuil de ma vie ! Je veux m’épargner une déception, et je serai, avec lui, très cordiale, mais très prudente… »

Elle se défendait ainsi contre une amitié qui la distrayait, à son insu, et de sa solitude, et de son deuil, et de sa tristesse amoureuse… Elle ne relisait plus les quelques billets de Maurice qu’elle conservait dans un tiroir.

Elle ne se disait plus :

« Où est-il ?… Est-il heureux avec sa femme ! M’a-t-il oubliée enfin ?… Le reverrai-je ?… »