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aimait « comme une maîtresse ». Josanne découvrait en lui une intelligence fine et précise, une volonté froide, une espèce de violence latente qu’il surveillait et réprimait, de la bonté, peut-être, mais aucune sensiblerie, de l’orgueil, sans doute, mais aucune affectation. Il avait un vif sentiment des arts, une parfaite culture littéraire, le goût des idées générales, une curiosité passionnée pour les gens et les choses de son temps. Écrivain, il n’était pas « gendelettre » ; homme du monde, il n’était pas snob. Il se plaisait aux paradoxes ; il se disait affranchi de tout préjugé, mais il détestait la bravade, l’excentricité, les déclamations, et sa réserve un peu hautaine marquait les distances.

Il n’avait pas d’amis intimes. Sa mère était morte depuis longtemps, et son père, ex-conseiller à la cour de Poitiers, vivait dans une maison de campagne au bord de la Yonne, entre Lusignan et Pamproux. Rien, dans les paroles et les pensées de Noël, ne trahissait la secrète influence d’une femme aimée.

Il était seul, libre, heureux de l’être.

Pourtant il n’était pas un sauvage. Il aimait Paris, qu’il traversait avec plaisir et quittait sans regret. Il allait beaucoup au théâtre et dînait en ville presque tous les jours. Parfois il racontait à Josanne la soirée de la veille, et, emporté par son récit, il disait :

— Il y avait près de moi une bien jolie femme…

Josanne, revenue dans son petit logement, imaginait M. Delysle assis à une table somptueuse, près d’ « une bien jolie femme ». Que disait-il ?… Quel air avait-il ?… Ressemblait-il au Noël qu’elle connaissait ? Fixait-il sur sa voisine ce regard clair, brillant et droit