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— Ridicule ! Vous qui avez tant de raison et tant d’indulgence, et cette force d’espoir, et cet optimisme paisible !… Vous êtes une sœur de charité laïque, oui, tout anticléricale que vous êtes…

Josanne se mit à rire :

— Vous auriez dû vous marier ; je vous vois très bien, mariée et mère de famille…

— J’aurais pu me marier, dit la vieille fille avec un petit air de fierté. À vingt ans, je n’étais pas plus laide qu’une autre, et l’on m’a demandée, oui ; deux fois !

— Et vous avez refusé !… Pourquoi ?

— Parce que j’avais un cœur très timide, craintif même, et scrupuleux… et puis des idées à moi… et je voulais toujours les mettre en pratique, mes idées !… J’appartenais au peuple, où les honnêtes filles ne sont pas, forcément, des ingénues… Je savais comment vivent les hommes avant leur mariage, et j’avais vu beaucoup de femmes, séduites, lâchées, qui tombaient… je savais où… Alors je m’étais promis d’épouser un jeune homme qui… que…

Une chaste rougeur couvrit la figure de mademoiselle Bon.

— … qui n’aurait jamais profité de la misère, de la faiblesse de ces malheureuses, pour… vous comprenez !… un jeune homme pur comme moi-même… Et je ne l’ai pas rencontré.

— Et vous n’avez pas aimé ?

— D’amour ? non… J’ai aimé mes parents, mes amis, mes idées, les malheureux… J’ai aimé beaucoup de gens et beaucoup de choses… Et j’ai gardé mon petit rêve intact, ni brisé, ni sali… Mais je n’en parle jamais à personne et c’est bien la première fois…