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monde. Ça la distrait, et puis, si on veut danser, elle tient le piano.

Madame Grancher n’avait pas détruit le prestige de la jeune femme à la rose… Maurice Nattier, élevé dans les jupons d’une maman timorée, répugnait aux aventures faciles. À vingt-quatre ans, il avait encore quelque fraîcheur d’âme, le désir naïf d’une grande passion. Littéraire et romanesque, il se croyait sentimental…

Ce fut un amour discret, délicat, qui embauma la vie obscure de Josanne comme les violettes invisibles embaument les bois, au printemps. Ce fut un amour chaste et puéril, tout fier de ressembler aux amours qu’on voit dans les livres… Maurice ne connut pas le mari de Josanne. Il n’entra jamais dans le petit logement de la rue Amyot, où le malade ne voulait recevoir personne, sauf l’usinier Malivois et des médecins. Malgré les confidences de Josanne, il oublia tout ce qui pouvait assombrir leur joie, tout ce qui composait l’arrière-plan de leur vie amoureuse, toutes les choses navrantes, répugnantes et tragiques que Josanne elle-même voulait oublier…

Enfin, il la conduisit à Bellevue, dans le pavillon où sa mère et lui passaient l’été. C’était un jour de mars ; la dernière neige fondait dans les chemins creux ; les bois gris s’étoilaient de primevères… Au crépuscule, quand ils partirent, le ciel était rose et froid, une seule étoile brillait. Josanne, appuyée au bras de son amant, murmura :

— Je suis heureuse… Et je n’ai pas de remords, tu sais ! oh ! non, et pas de honte…

C’était vrai : elle n’avait pas de honte… Elle se