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et que j’interroge sur leur vie, leur caractère, leurs goûts ; je songe à ces doctoresses, à ces avocates, à ces professeurs, à ces artistes, dont le Monde féminin raconte les succès… C’est l’élite féminine, les « affranchies », les « rebelles », comme dit monsieur Noël Delysle… Elles s’insurgent contre les préjugés, contre la morale conventionnelle, et elles recréent un idéal nouveau de l’honneur, de la vertu, du devoir féminin. Ce sont des intelligences claires et des âmes nobles… Elles ne ressemblent pas à madame Neuf… Et pourtant, dès qu’elles se livrent un peu, en causant, de femme à femme, et que je devine le secret de leur vie intérieure, je sens qu’elles ont gardé les vieux instincts de la femme d’autrefois… L’homme les trouve devant lui, concurrentes et rivales, dans les écoles, dans les hôpitaux, dans les administrations ; mais au foyer, dans l’alcôve, l’ordre antique se rétablit… Avec tout son cœur, avec tous ses sens, la femme aspire à la servitude amoureuse… Elle n’a pas le courage de la liberté ; elle n’a pas le sentiment de sa dignité ; elle n’a que le désir et le regret de l’amour. Que l’amant aimé marche sur elle, elle lui baisera les pieds et dira : « Encore !… »

Mademoiselle Bon écoutait Josanne sans protester.

La jeune femme s’animait, presque agressive :

— Mariées, elles ne peuvent pas s’affranchir de l’époux ; libres, elles ne veulent pas s’affranchir de l’amant… Ce sont des serves, comme étaient leurs mères, comme seront leurs filles…

— Ce sont des femmes ! dit mademoiselle Bon, en souriant. Elles sont nées à une époque de transition, et elles se révoltent contre une morale et des lois dont