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Quand les premiers becs de gaz s’allumèrent, en guirlandes pâles, le paysage parisien prit la force, la netteté, l’éclat imprévu de la plus belle estampe japonaise. Mais ni Maurice ni Josanne ne voyaient cette froide splendeur du crépuscule, qui touchait les yeux les moins sensibles et donnait aux passants distraits un court saisissement de plaisir,

— … Rappelez-vous… rue Rataud… ce matin où je vous parus injuste, ingrat, féroce… Je vous avais dit que c’était horrible de vivre séparé de vous, toujours… J’étais malheureux, et je vous savais malheureuse… Que pouvais-je pour vous ? Rien.

Josanne dit, lentement :

— Quand vous m’avez aimée, vous saviez que je n’étais pas libre, que je ne pouvais pas, que je ne voulais pas me libérer… Et vous saviez très bien que ce n’était ni par intérêt, ni par faiblesse, ni par crainte de l’opinion, que je restais à mon foyer… Croyez-vous que je n’avais pas rêvé une autre vie, que j’étais faite pour la trahison ? Mais j’avais un devoir envers mon mari malade et malheureux. J’acceptais ce devoir… et je gardais pourtant un droit sur moi-même… Vous saviez tout cela… Je ne suis pas une inconsciente. Je vous ai parlé tout net, au début…

Il répondit :

— J’ai très bien compris. Mais, je vous le répète, je ne pouvais rien.

— Vous pouviez m’aimer, malgré tout, à travers tout, comme je vous aimais, et me donner l’appui d’une fidèle tendresse, à défaut du secours matériel. Vous pouviez tout… Mais il fallait pouvoir aimer, d’abord… Et cela, vous ne le pouviez pas…