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passé, n’existe plus. Je ne vous ai pas regretté. Je ne vous déteste même pas… Et ce n’est pas la maîtresse qui crie en moi, contre vous, c’est la mère…

Elle se tut, car elle étouffait. Maurice voulut lui prendre le bras et l’entraîner : elle se dégagea, hostile.

Ils traversèrent ainsi, Maurice suivant Josanne, le guichet du Louvre. Sur le quai, le fracas des omnibus et des voitures les surprit. Le vent soufflait du nord. L’air frigide et coupant avait le goût d’un morceau de glace qui fondrait en touchant les lèvres. Josanne ramena sa fourrure contre sa bouche. Elle frissonnait.

— Venez par ici, implora Maurice ; je vous en prie…

Elle le regarda… Non, il ne mentait pas, à cette heure ! C’était son tour de prier et de s’humilier, et de souffrir… L’inquiétude blêmissait ses joues, décolorait ses yeux bleus, enlaidissait presque son visage, et cette légère disgrâce physique émut Josanne, au plus tendre de son cœur. Naguère elle ne pouvait supporter le passage d’une tristesse sur ce visage aimé. Et maintenant elle luttait contre l’habitude ancienne devenue instinct, — l’habitude de dire le mot, de faire le geste qui console.

Le long du Louvre, puis sur le trottoir que la terrasse des Tuileries domine, droit devant eux, ils allaient. La découpure grise de la rive gauche, avec ses toits, ses clochers, ses dômes, se violaçait peu à peu contre le rouge cru du ciel hivernal. Des ombres de sépia marquaient les arches des ponts, et l’eau argentée ou noire, et çà et là glacée de rose, semblait immobile entre le lacis des arbres penchés.