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Et Josanne aussi voudrait dormir, si fatiguée, la tête vide ! Le léger mal de cœur qui lui vient, au roulis du bateau, accroît son vertige. Tant de pensées, tant d’émotions l’ont ballottée, depuis le matin, de l’orgueil à l’humiliation, de la confiance au désespoir ! Tout lui est égal, maintenant, tout ! Et, sur le chaos de ses idées, une phrase qui n’a plus de sens, qu’elle ne comprend plus, bourdonne comme une mouche obsédante : « Le pli de la servitude… »

Le bateau s’arrête, repart dans un glissement balancé, s’arrête encore. À chaque arrêt, un double mouvement se propage dans la masse des passagers : les uns s’en vont, les autres arrivent. Josanne, sa voilette levée, regarde ces figures qui défilent, marquées par la grande lassitude mélancolique des soirs de fête : ménages d’ouvriers, boutiquières coiffées de capotes à aigrette, enfants qui dorment, la tête ballottante sur l’épaule du papa, serrant un jouet neuf ou un débris de gâteau dans leur menotte crispée.

De temps en temps, une femme jolie, un monsieur à pelisse confortable, égarés dans la foule populaire, se plaignent de n’avoir pas trouvé de fiacre, d’avoir vu fuir les tramways pris d’assaut.

Un couple élégant cherche des places : la toque pailletée de la jeune femme brille parmi les chapeaux sombres. Toute jeune, mince, brune, vêtue de drap bleu et d’astrakan, c’est une nouvelle mariée, sans doute, qui va dîner dans sa famille. Elle hésite, recule, — et son mari, plus loin, l’appelle :

— Yvonne !

C’est Josanne qui se lève, à cette voix.

Elle se lève et se rassied et ne sent plus rien qu’un