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Bon. Les gens du monde, les bourgeois, ne lisent guère l’Assistance féminine, et ce n’est pas dans le Monde féminin que Josanne pourra exprimer, sincèrement, ses opinions… Monsieur Foucart exige que la charité soit discrète, la misère voilée, et que la douleur et la mort mêmes gardent un « petit air parisien ».

Madame Platel proposa de visiter la maison, avant la fête. On parcourut les dortoirs tout blancs, le réfectoire aux tables parallèles, l’infirmerie, les cuisines, et la grande salle commune où les pensionnaires attendaient.

Elles étaient trente, assises sur des chaises de paille, comme à l’église. L’uniforme de pilou brun — casaque droite et jupe foncée — accusait la disgrâce de leur corps, et les bonnets étaient d’un blanc trop cru sur les fronts jaunâtres, comme frottés de terre… Ainsi vêtues, ainsi rangées, elles semblaient n’être plus des femmes, mais des femelles, un lamentable bétail féminin. Et il fallait les regarder longtemps pour distinguer quelques traces de beauté sous la dure lumière hivernale, impitoyable aux visages flétris.

— Numéro Neuf ? disait la directrice. Je ne vois pas le numéro Neuf… Elle n’est pas à l’infirmerie ?

— Non, m’ame, répondirent plusieurs voix : elle est là, dans le coin…

Une surveillante appelait :

— Madame Neuf !… On ne vous mangera pas, madame Neuf !

Les têtes se tournaient vers une fille assise dans un angle de la salle, sur un tabouret bas. Elle avait les coudes sur les genoux, les mains dans les cheveux,