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duites, lâchées, honnies, ramassées dans la rue, elles sont gaies… Elles évitent de penser à l’avenir ; le présent les rassure. Vivant ensemble, elles redeviennent petites filles et s’amusent de tout. La fête que nous leur donnons aujourd’hui occupe, depuis un mois, toutes leurs pensées… Une d’elles, ce matin, m’arrêtait dans l’escalier : « Madame, vrai qu’on aura de la brioche ? — Oui ? — Ah ! veine !… » Elle dansait de plaisir, malgré son ventre… Et si vous connaissiez son histoire !… Une fille de dix-neuf ans, laide, rousse, grêlée, boiteuse, naguère en service chez un marchand de vins, à Javel… On nous l’a envoyée presque mourante de faim, bleue de coups, en guenilles, et elle a répondu à ma première question : « Le père de mon enfant !… J’sais t’y, moi, j’sais t’y ?… — Mais enfin… — Ah ! j’ai ben une doutance sur un monsieur Camille !… »

— Il y a beaucoup de domestiques parmi vos pensionnaires ? demanda Josanne.

— Oui, beaucoup : de petites bonnes, victimes du sixième étage… Mais nous avons aussi des ouvrières, des demoiselles de magasin, jusqu’à des institutrices !… Certaines sont restées pures de cœur, — celles qui furent vraiment surprises par l’agression de l’homme, ou qui cédèrent par amour. — Il y a des infortunes si poignantes !… Ah ! mesdames, dites-le, écrivez-le, criez-le ; on n’aura jamais trop pitié de la femme… Si bas qu’elle tombe, l’homme est, presque toujours, l’artisan responsable de sa déchéance…

— Pourquoi les femmes qui ont du talent, un nom, un public, et qui écrivent de beaux livres, ne défendent-elles pas mieux les autres femmes ? dit mademoiselle