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dur, quelquefois… Alors, quand je suis triste, je vais chez une amie qui dirige un asile de vieillards, et je cause avec les pensionnaires… Je leur apporte du tabac, des journaux… Et ça me console… Ça me rappelle papa…

Après un silence, elle ajouta :

— Vous, Josanne, vous avez un fils. C’est un grand bonheur… Vous travaillez pour lui…

— Pour lui et pour moi… Vous connaissez mon ambition maternelle : mais, en quittant Chartres, je ne pensais pas qu’à mon fils. Je voulais refaire ma vie, m’instruire, me développer, essayer toutes mes forces, maintenant que je suis libre… Tout à l’heure, je vous disais ma joie, mon orgueil, et j’étais sincère… La liberté !… Je ne savais pas ce que c’était. Mariée toute jeune, j’avais passé de la tutelle de mes parents à la tutelle de mon mari ; puis, écrasée de charges et de devoirs, je n’avais eu que les tracas d’une illusoire indépendance. Il me fallait penser aux autres, agir pour les autres, vivre pour les autres… Et j’enviais parfois celles qui sont libres, de leurs sentiments et de leurs actes, de leur corps et de leur cœur !…

— Et maintenant ?

— Maintenant que je suis libre, je suis désorientée, mal à l’aise… Quelque chose me manque… Il y a tant de contradictions en nous !…

Sur le crâne de mademoiselle Bon, le chapeau de dentelle et de raisins noirs parut se hérisser :

— Votre âme, dit-elle d’un ton surpris et douloureux, votre âme a gardé le pli de la servitude…