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— Pourquoi ?

— Parce que c’est le premier de l’an… Ceux qui ont des familles vont dans leurs familles ; ceux qui ont des amis vont chez leurs amis…

Josanne regarda la demi-douzaine de femmes et d’hommes qui déjeunaient, sans gaieté, à des tables différentes : un rapin, un vieux professeur, — prêtre défroqué, disait la légende ; — une institutrice entre deux âges, une Américaine et un Finlandais.

« Voilà ! il n’y a ici que des isolés, des épaves… », pensa-t-elle. Et elle se rappela les anciens « premiers de l’an… » Elle revit son père, sa mère, qui étaient, eux aussi, des « prolétaires intellectuels », mais qui avaient un foyer tiède et joyeux… Elle entendit leurs voix, qui l’appelaient : « Petite !… viens chercher tes étrennes… » Josanne avait des étrennes, dans ce temps-là… Son mari, l’année précédente, avait couru les magasins, en cachette, pour lui faire la surprise de ce boa qu’elle portait… Elle songea :

« Pauvre garçon !… »

Les yeux brouillés de larmes, elle s’absorbait dans la contemplation du menu. Mademoiselle Bon demanda :

— À quoi rêvez-vous, chère amie !

— Je pense à mes parents et à mon mari, qui sont morts… à mon fils qui est loin de moi… Jamais, jamais aucune année de ma vie n’a commencé dans la solitude… Et cela me fait du chagrin…

— Moi aussi, je suis seule, dit mademoiselle Bon, depuis que papa est mort… Il était bien vieux, papa ! Il n’avait plus toute sa tête, mais je l’aimais comme mon enfant… Maintenant, je n’ai plus personne. C’est