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quelques jours de répit. « Pourvu qu’elle me reconnaisse ! » me disais-je… Ah ! j’aurais voulu effacer le souvenir des malentendus qui nous ont séparés… Nous avions, elle et moi, gaspillé en querelles une tendresse dont nous aurions eu tant besoin. Chère amie, représentez-vous un cadavre vivant — si agoniser sans paroles, sans pensée, ni sensations peut s’appeler vivre. Un visage congestionné et défiguré…

Sa voix s’altéra. Ses yeux se remplirent de larmes transparentes… Jacqueline se serra contre lui.

— Mon pauvre ami, que je vous plains !

— Ah ! reprit-il, quand tout a été fini je n’ai pensé à rien… C’était la douleur animale, écrasante… Je me suis trouvé avec l’âme peureuse d’un enfant abandonné… Pauvre maman ! J’ai senti toute la place qu’elle tenait dans ma vie… C’est tout le passé qui s’en va avec elle, voyez-vous… Mais après, devant ce corps qui m’a porté et nourri, devant ces yeux que j’avais vus si beaux, cette bouche dont j’avais tant redouté les gronderies et tant aimé les sourires, j’ai appris qu’on méconnaît cruellement ceux que l’on croit aimer. La vie sépare, hélas ! elle désunit… mais la mère reste la mère… Pardonnez-moi, dit-il, en essuyant ses yeux… C’est la